11 Juin 2015
Il y a un mois et demi, un chalutier chargé de migrants à destination de l'Europe a sombré au large des côtes libyennes et tunisiennes et sept cents passagers sont morts noyés.
Nos media se sont empressés de repasser en boucle la culpabilité de l'Europe et des européens dans ce drame, et dans le public le message est bien passé : nous, les européens, les européens blancs en particuliers, sommes tous coupables de ces morts. Quelques-uns de mes amis africains m'ont fait des réflexions qui ne m'ont guère plu, car je suis comme tout le monde – je suis européen et blanc, personne ne pourra me retirer ça que je le veuille ou non, et je ne le veux pas – et je n'aime pas qu'on me fasse sentir coupable d'un meurtre quand je n'ai le sentiment de n'y avoir participé d'aucune manière. Ce d'autant plus que j'ai aidé, aidé concrètement, l'un des membres de leur famille à mettre le pied sur le continent, pour payer un accompagnateur pour qui le bateau entre les Iles Canaries et l'Andalousie n'était pas assez luxueux, il lui fallait l'avion... Ceci, il est vrai, c'était à une époque révolue où je pouvais me le permettre. Aussi, je me suis livré à quelques recherches sur ce qui s'est réellement passé lors de ce naufrage. Je me suis limité à ce qui était écrit dans les media : nous ne vivons pas encore sous Staline, même si l'on en prend petit à petit le chemin, et si les media peuvent travestir la vérité par des tombereaux de commentaires mensongers, ils ne peuvent pas encore dissimuler les faits bruts. Par conséquent, tout ce je vais exposer est facilement vérifiable, pour peu qu'on prenne la peine d'y consacrer une heure ou deux.
Tout d'abord, où ce naufrage a-t-il eu lieu ? On a pu entendre parler partout du Canal de Sicile, mais l'endroit où a réellement sombré ce navire se situe à quelques dizaines de kilomètres des côtes libyennes et tunisiennes, à deux cent cinquante kilomètres de la côte européenne la plus proche.
Ensuite, qu'ont fait les européens ? Les premiers à réagir ont été un navire de guerre italien qui a reçu le premier l'appel de détresse, puis le King David, un cargo portugais proche du navire en détresse, à qui les italiens ont relayé l'appel. Le King David s'est immédiatement dérouté pour porter secours, malgré les coûts énormes d'un tel déroutage pour les gigantesques navires marchands modernes. Lorsque le King David est arrivé sur le site, les passagers qui se trouvaient sur le pont du chalutier se sont tous rassemblés du côté d'où arrivait le cargo, et leur poids a déséquilibré le navire, qui a chaviré. Les marins du King David, impuissants, n'ont pu qu'assister au naufrage et recueillir à la mer les quelques survivants. La réaction des européens, ici les italiens et les portugais, a été exemplaire et immédiate. Ils se sont portés au secours des personnes en détresse dès le premier appel, fidèles à l'esprit de la première loi de la mer, qui est que l'on abandonne tout pour sauver coûte que coûte toute personne en perdition en mer. Le capitaine et les marins du King David sont des gens de mer, et ils savent qu'on se porterait à leur secours s'ils étaient eux-mêmes en détresse.
Qu'en est-il du côté nord-africain ? La Libye, dans l'état de guerre civile que l'on connaît – on pourra en remercier messieurs Nicolas Sarkozy et Bernard-Henri Lévy – n'en peut mais et ne dispose probablement plus d'une flotte digne de ce nom, mais la Tunisie possède une importante flotte de pêche, que l'affaire du thon rouge de Méditerranée a rendu célèbre voici un an. Nulle part on n'a entendu qu'un seul bateau tunisien se soit porté au secours des naufragés.
D'autre part, qui sont les organisateurs de la catastrophe ? Car quand on a réuni les quelques éléments qui ont donné lieu au naufrage, on se sent autorisé à parler de catastrophe organisée.
Un capitaine digne de ce nom ne laisse pas ses passagers déambuler librement sur le pont lorsque son navire est en difficulté. Ici, on parlera d'erreur et d'incompétence.
Mais comment a-t-on pu faire embarquer suffisamment de personnes dans un bateau pour qu'une petite partie de ses passagers massée sur un bord suffise à le déséquilibrer ? Ce n'est plus de l'erreur ni de l'incompétence, on peut utiliser le mot crime.
Enfin, et c'est ce qui est le plus atroce dans cette tragédie, la majeure partie des passagers, et, semblerait-il, non seulement des hommes mais également des femmes et des enfants, se trouvait dans les cales, enfermée. Pourquoi enfermés ? J'ignore s'ils seraient parvenus à sortir des cales assez vite pour se retrouver dans la mer libre avant que le bateau n'ait sombré, mais je ne parviens même pas à imaginer leur horrible agonie, voyant l'eau envahir les cales d'où ils ne pouvaient pas s'échapper… Aucune hésitation, enfermer des gens dans les cales d'un navire, c'est un crime, un crime de masse, dont on ne retrouve l'équivalent qu'aux époques de l'esclavage.
Mais il y a plus. Un reportage – un seul, car je n'en ai vu d'autre nulle part – sur les conditions de vie des migrants en Libye, me fait penser que ces malheureux – assassinés, le mot n'est pas trop fort – n'étaient peut-être même pas consentants à cette traversée mortelle.
On ne présentera plus les conditions de vie épouvantables des immigrés africains en Libye, que ce soit sous Khadafi ou maintenant, l'information est disponible à qui veut bien se donner la peine de l'entendre. Mais ce reportage donne un éclairage nouveau et très particulier au voyage de ces nouveaux migrants vers l'Europe. En le lisant et en écoutant parler ces damnés de la terre du vingt-et-unième siècle, j'en suis resté sidéré.
Certains cherchent effectivement à gagner l'Europe, que ce soient ceux qui sont tombés sous les sirènes de l'Eldorado européen ou les syriens et les somaliens, qui venant d'un pays victime de guerres détruisant tout sur leur passage, n'ont plus rien à perdre et sont prêts à tout risquer y compris leur vie pour rejoindre un continent où ils espèrent trouver, simplement, la paix et la possibilité de survivre.
Mais beaucoup – combien d'entre eux ? Est-ce la majorité ? – et en particulier les ressortissants des pays d'Afrique de l'ouest, se trouvaient simplement en Libye pour y travailler, acceptant de lourds sacrifices – le racisme quotidien et "ordinaire" envers les noirs, la dureté de la vie en exil dans ce pays, les marchés au travailleurs du matin, l'exploitation par les patrons locaux pour qui les notions d'humanisme et de justice sociale ne sont que de lointains concepts exotiques – pour envoyer de l'argent au pays et y faire vivre leur famille.
Or ces travailleurs courageux, et honnêtes "Nous sommes de bonnes personnes, nous n'avons commis aucun crime.", et à écouter leurs témoignages poignants je les crois sur parole, alors même qu'ils effectuent des tâches que probablement les libyens n'ont pas envie de faire, sont arrêtés par la police, sans autre raison que la couleur de leur peau, dans les foyers où ils vivent, dans la rue, et même sur leur lieu de travail "Tu peux voir, je porte encore mes habits de travail." ! Tous dénoncent un trafic organisé, ils sont vendus, oui, vendus pour mille dinars libyens !
Et que demandent-ils au journaliste qui les interroge, que demandent-ils, tous ? (J'excepte les syriens et les somaliens, pour les raisons que j'ai exposées plus haut ; le reportage ne donne d'ailleurs la parole qu'à un seul somalien.) Que demandent-ils, même ceux qui souhaitaient au début gagner l'Europe ? Rentrer au pays, revoir leurs familles, rentrer chez eux ! C'est un cri unanime, tous, absolument tous, implorent le journaliste français de demander à son gouvernement de les aider, non pas à aller en Europe, mais à rentrer chez eux.
Pour ceux qui en auront le courage, je ne saurais trop vous inviter à écouter les voix de ces gens désespérés :
Qui est coupable ? Qui agira pour que cela cesse ?
Benc
Toujours dans les "media" que je dénonce plus haut – mais en faisant l'effort de chercher un peu tout de même – un article qui donne plus de précisions sur le naufrage lui-même. En ce qui concerne les responsabilités, chacun se fera son opinion par soi-même :
Et celui-ci, qui relate un autre fait de barbarie en Méditerranée – on remarquera l'emploi du conditionnel dans le titre, alors que le fait est avéré par le témoignage des victimes, douze personnes :
Enfin, les personnes intéressées par les manipulations plus ou moins subliminales – et, certes c'est un point de vue qui n'est pas objectif, mais on aurait tendance à dire plutôt plus que moins – des media destinés au grand public, pourront très utilement consulter le site de l'Observatoire des journalistes et de l'information médiatique, qui analyse quotidiennement les approximations de la grande presse, et où l'auteur de l'article a trouvé de précieuses informations :